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Les travaux supplémentaires peuvent-ils être payés dans le cadre du marché à forfait ?

Le 05.11.2025 0 commentaires
Travaux supplémentaires, marché à forfait; droit de la construction, TGS France Avocats
La question du paiement des travaux supplémentaires dans le cadre du marché à forfait nourrit un important contentieux. En effet, si le marché à forfait présente un avantage pour le maître de l’ouvrage lui permettant de maîtriser le coût de son projet, il peut cependant être source d’embûches pour l’entrepreneur amené à réaliser des travaux supplémentaires en cours de chantier. Dans cet article, Wilfried MEZIANE, responsable du Département droit immobilier, de la construction et de l’urbanisme, éclaire sur la possibilité, pour les entreprises du BTP, d’être payées pour des travaux supplémentaires dans un marché à forfait, c’est-à-dire un contrat où le prix global des travaux est fixé à l’avance. 
 

Définition du marché à forfait 

Le marché à forfait est défini à l’article 1793 du Code civil : 

« Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ». 

En somme, le marché à forfait est un contrat par lequel un entrepreneur s’engage, en contrepartie d’un prix global et définitif fixé à l’avance, à réaliser des travaux dont la nature et la consistance sont préalablement déterminées.   

Il se distingue du marché au métré dans lequel le règlement s’opère en appliquant des prix unitaires aux quantités réellement exécutées. 

La notion de travaux supplémentaires 

Les travaux supplémentaires constituent les travaux non prévus dans le marché initial

Toutefois, il convient de distinguer les travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’ouvrage conformément aux règles de l’art et les travaux supplémentaires non nécessaires. 

Les travaux supplémentaires nécessaires sont compris dans le forfait. 

Il s’agira par exemples des travaux nécessaires à la sécurité ou à la solidité de l’ouvrage, au respect de la règlementation. 

En revanche, ne sont pas considérés comme des travaux supplémentaires, nécessaires ou non nécessaires, les travaux prévus dans le cahier des charges ou ceux qui auraient pu être prévus par l’entrepreneur eu égard aux visites et études effectuées ou ceux qui ne pouvaient lui échapper compte tenu de ses compétences professionnelles ou de sa spécialisation dans le domaine concerné. 

Le principe d’intangibilité du prix 

Le caractère forfaitaire du marché suppose l’intangibilité du prix, ce qui sécurise le maître de l’ouvrage contre les éventuels dérapages de son budget. 

Cela signifie que son montant ne peut être unilatéralement modifié

Ainsi, l’entrepreneur :  

- D’une part, est tenu d’exécuter les travaux nécessaires à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, même s’il ne les a pas anticipés lors de la fixation du prix initial. En effet, le prix forfaitaire est censé inclure toutes les prestations prévisibles qu'impose la construction de l’ouvrage. 
- D’autre part, ne peut solliciter l’augmentation du prix arrêté avec le maître de l’ouvrage, quel qu’en soit le motif. 

Il ne pourra pas s’abriter derrière ses propres erreurs ou celles du maître d’œuvre, ni se prévaloir d’omissions ou d’imprécisions dans les documents contractuels. 

Notamment, l’entrepreneur supportera tous les risques liés aux aléas inhérents au chantier, tant financiers (hausse du prix des matériaux) que techniques (nature du sol) et juridiques (application de normes nouvelles après la signature du marché), et conservera à sa charge les coûts correspondants. 

À l'inverse, en marché public, les juridictions administratives admettent que le titulaire d'un marché à prix forfaitaire a droit au paiement des travaux supplémentaires qui, même réalisés sans ordre de service du maître d'ouvrage, ont été indispensables à l’exécution du contrat dans les règles de l’art, sans qu’il soit besoin de rechercher si ces travaux supplémentaires ont ou non, par leur importance, bouleversé l’économie du marché. 

3 exceptions au principe d’intangibilité du prix 

L’entrepreneur a la faculté de s’affranchir du cadre forfaitaire du marché dans trois hypothèses, et ainsi d’obtenir le paiement de ses travaux supplémentaires. 

Exception n°1 : l’autorisation préalable du maître d’ouvrage 

Dans ce cas, le maître de l’ouvrage a autorisé les travaux supplémentaires préalablement à leur exécution 

- L’accord du maître de l’ouvrage doit porter tant sur le principe de la réalisation des travaux que sur le prix de ceux-ci. 
- Souvent, l’accord sera matérialisé par voie d’avenant, de devis, de bon de commande ou d’ordre de service. 
- En outre, l’autorisation doit émaner du maître de l’ouvrage lui-même ou de son représentant dûment habilité. 

Ainsi, toute commande de travaux supplémentaires passée par l’architecte, le maître d’œuvre ou le maître de l’ouvrage délégué n’engage pas le maître de l’ouvrage sauf justification d’un mandat spécial et exprès en ce sens. 

Il convient de signaler qu’en marché public, le Conseil d’Etat a décidé dans un arrêt du 17 mars 2025 que : 

« Lorsque le titulaire d’un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre, il a droit au paiement de ces travaux, quand bien même la demande qui lui en a été faite n’a pas pris la forme d’un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales.  

En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n’a droit au paiement de ces travaux que s’ils étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art » 

Ainsi, même en présence d’une demande verbale du maître de l’ouvrage, le titulaire du marché a droit au paiement de ses travaux supplémentaires. 

Exception n°2 : la ratification après coup 

Dans ce cas, le maître de l’ouvrage ratifie les travaux supplémentaires postérieurement à leur exécution. 

Afin de tenir compte de la pratique courante selon laquelle les travaux supplémentaires sont couramment exécutés sur ordre verbal du maître de l’ouvrage ou sur initiative du maître d’œuvre, la jurisprudence admet que ces travaux puissent faire l’objet d’une ratification a postériori de la part du maître de l’ouvrage. 

Cette ratification peut être expresse ou tacite. 

Elle sera expresse lorsqu’elle prendra la forme d’une acceptation écrite ou consistera en l’insertion des travaux supplémentaires dans le décompte général définitif notifié par le maître de l’ouvrage. 

Elle sera tacite, et non équivoque, en cas de paiement des travaux supplémentaires sans contestation ni réserve de la part du maître de l’ouvrage. 

Toutefois, ne sauraient caractériser une ratification tacite : 

- l’information du maître de l’ouvrage par courriels ou dans les comptes rendus de chantier,  
- la seule connaissance par le maître de l’ouvrage de l’exécution des travaux supplémentaires, 
- l’attitude passive ou l’absence de réaction du maître de l’ouvrage lors de l’exécution des travaux supplémentaires, 
- le silence gardé par le maître de l’ouvrage à réception du projet de décompte général et définitif de l’entrepreneur dans    le cadre de la procédure de clôture des comptes prévue par la norme NF P03 001 à laquelle les parties se sont soumises volontairement, 
- la simple prise de possession des lieux, 
- la signature sans réserve du procès-verbal de réception par le maître de l’ouvrage. 

Exception n°3 : le bouleversement de l’économie du contrat 

Il y a bouleversement de l’économie du contrat lorsque le maître de l’ouvrage apporte en cours de chantier des modifications substantielles au marché d’une telle ampleur qu’il ne peut ignorer que cela entraînera un dépassement important du prix initial. 

La masse des travaux supplémentaires doit représenter une augmentation significative du montant des travaux initiaux. 

Concrètement, la jurisprudence retient en général une évolution de plus de 25% du prix initial, ce qui correspond d’ailleurs au seuil fixé par la norme Afnor NF P03-001. 

Mais le bouleversement de l’économie du contrat sera écarté s’il n’émane pas du maître de l’ouvrage mais résulte du propre fait ou des carences de l’entrepreneur. 

Concernant les marchés publics, l’article 14.2.2 du CCAG Travaux 2021 énonce :  

« Le titulaire n'est tenu d'exécuter des travaux qui correspondent à des changements dans les besoins ou les conditions d'utilisation auxquels les ouvrages faisant l'objet du marché doivent satisfaire que si le montant des travaux de cette espèce n'excède pas le dixième du montant contractuel des travaux.  

Dès lors, le titulaire peut refuser de se conformer à un ordre de service l'invitant à exécuter des travaux de l'espèce définie à l'alinéa précédent s'il établit que le montant cumulé de ces travaux prescrits par ordre de service depuis la notification du marché ou depuis celle du dernier avenant intervenu, y compris l'ordre de service dont l'exécution est refusée, excède le dixième du montant contractuel des travaux. 

Un tel refus d'exécuter opposé par le titulaire n'est toutefois recevable que s'il est notifié par écrit, avec les justifications nécessaires, au maître d’ouvrage, dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'ordre de service prescrivant les travaux. Une copie de la lettre de refus est adressée au maître d'œuvre ».

En tout état de cause, même si un marché public a été conclu à prix forfaitaire, son titulaire a droit à être indemnisé des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c’est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l’économie générale du marché. 

Au regard de la jurisprudence administrative, le seuil d’un tel bouleversement semble osciller entre 7 % et 10 % du montant global du marché. 

Le conseil de TGS France Avocats 

Afin de se prémunir contre le risque de non-paiement des travaux supplémentaires, plusieurs solutions peuvent être envisagées  :

Précautions contractuelles 

Être vigilant lors de la rédaction du contrat en veillant à circonscrire précisément le contenu du prix forfaitaire (travaux inclus et exclus) et en aménageant des modalités de revalorisation du prix (par exemple en stipulant une clause de révision du prix ou d’indexation). 

De même, il est vivement recommandé de formaliser puis de faire confirmer les demandes de travaux supplémentaires, par exemple par voie d’avenant, de devis, de bon de commande ou d’ordre de service signés. 

Théorie de l’imprévision 

L’entrepreneur peut invoquer le bénéfice de la théorie de l’imprévision édictée à l’article 1195 du Code civil afin de solliciter la renégociation du contrat et, subséquemment, le paiement de ses travaux supplémentaires. 

Cependant, l’impact d’un tel mécanisme est à relativiser. En effet, n’étant pas d’ordre public, la plupart des marchés ont tendance à prévoir une renonciation de l’entrepreneur à s’en prévaloir. 

L’enrichissement sans cause 

Sur ce fondement, le titulaire d’un marché public peut obtenir le remboursement des dépenses utiles exposées au profit de l’administration/la collectivité. 

Les dépenses utiles englobent non seulement les dépenses directes engagées au profit de la personne publique, mais aussi les dépenses indirectes, charges diverses et frais généraux, à l’exclusion de tout bénéfice et des frais financiers. 

S’agissant des dépenses dépourvues de caractère utile, le cocontractant devra se placer, pour obtenir une indemnisation, sur le terrain quasi-délictuel. 

Enfin, il convient de souligner que l’action de in rem verso présente deux limites : outre qu’elle est limitée aux dépenses utiles et ne correspond pas à une compensation des profits et des pertes, elle n’a qu’un caractère subsidiaire. 

Vous représentez une entreprise de BTP ? Nos avocats en droit de la construction vous conseillent dans la gestion contractuelle des marchés des travaux. wilfr

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