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Dénigrement de marques et d'enseignes sur Internet, entre liberté d'expression et responsabilité

Le 27.11.2023 0 commentaires

Le développement d'Internet, des plateformes d’avis et des réseaux sociaux a ouvert de nouvelles possibilités d'expression pour les individus et entreprises, mais a également créé de nouveaux défis juridiques.

Il est loin le temps de la jurisprudence ESSO où, en 2002, l’utilisation détournée par l’association Greenpeace, sous la forme « E$$O » ou « STOPE$$O », dans le cadre d’une campagne médiatique initiée contre le pétrolier, avait créé une polémique qui allait être tranchée par la Cour de Cassation (C. cass, civile, Chambre commerciale, 8 avril 2008).

La Haute juridiction avait alors estimé que le comportement de Greenpeace ne traduisait pas un abus de son droit à la libre expression, et que cette parodie constituait bien « un moyen proportionné à l’expression de telles critiques » et non une contrefaçon ou dénigrement de marque.

Si le cœur du débat n’a pas varié autour de la reproduction d’une marque, que cette reproduction puisse être taxée de contrefaçon ou bien de dénigrement, ou encore qu’elle soit autorisée par exception au titre de la liberté d’expression ou de la parodie, les usages ont toutefois beaucoup évolué depuis l’arrêt ESSO.
 

Les quinze dernières années ont vu naître puis se développer de façon exponentielle les plateformes d’avis clients et blogs, de sorte que les enseignes se voient désormais confrontées au défi de devoir adopter la bonne stratégie pour réagir, ou non, et pour défendre leur réputation.

Cette stratégie doit désormais combiner le droit des marques, le droit de la presse, le droit civil (concurrence déloyale), le droit des nouvelles technologies et le droit pénal.

Autant dire que, sans recours à des professionnels et à l’élaboration de process et de scénarii, la défense de la réputation de la marque ne peut être déployée efficacement.
 

Rappelons ici que le dénigrement constitutif de concurrence déloyale consiste à jeter publiquement le discrédit sur une entreprise, les produits ou les prix d’un concurrent.

Jusqu’en 2016, la jurisprudence considérait que le caractère dénigrant pouvait ainsi être retenu indépendamment de la véracité des propos litigieux. Il était donc assez aisé de faire reconnaître des actes de concurrence déloyale pour dénigrement y compris pour de simples communications autour de la conformité des produits ou de l’existence d’une action judiciaire entre les deux concurrents.

Cette tendance a toutefois peu à peu cédé du terrain à la liberté d’expression telle que définie à l’Article 10 de la Convention Européenne des Droits d’l’Homme (CEDH) qui pose le principe selon lequel « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».

Alors où se trouve, selon le juge, la frontière entre le comportement « malveillant » qui consiste à dénigrer une marque ou une enseigne et celui qui n’a pour objectif principal que d’informer ?

Là encore, les règles sont surtout issues de la jurisprudence.
 

Nous pouvons retenir l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 9 janvier 2019 (Société Shaf contre la société Plicosa) qui confirme que la liberté d’expression l’emporte sur le dénigrement lorsque l’information rendue publique :

> Porte sur un sujet d’intérêt général
> Repose sur une base factuelle suffisante
> S’exprime avec une certaine mesure
 

En pratique, que conseiller aux propriétaires de marques et d’enseignes qui sont confrontés à des communications plus ou moins objectives, plus ou moins informatives et plus ou moins biaisées ?

Il est important de noter que les plateformes en ligne jouent un rôle clé dans la gestion du dénigrement de marques et d'enseignes sur Internet.

En tant qu'intermédiaires entre les utilisateurs et les contenus publiés, ces plateformes peuvent mettre en place des mécanismes de signalement et de modération pour lutter contre le dénigrement. Cependant, elles doivent également arbitrer entre la liberté d'expression et le dénigrement et censure excessive.

Il est ainsi essentiel de trouver un équilibre entre la protection des droits des entreprises et la préservation de la liberté d'expression.
 

Pour lutter contre le dénigrement notamment sur la toile, des étapes s’imposent.

Bien évidemment, un modérateur ou un administrateur doit pouvoir être contacté dans un premier temps pour tenter de faire retirer le contenu litigieux.

En parallèle, la collecte de la preuve par un huissier de justice est le préalable indispensable en cas de tournure judiciaire de la demande pour démontrer la matérialité du dénigrement.

La plainte auprès du commissariat ou d’une gendarmerie permet également d’appuyer l’action du demander au plan pénal, même si le véritable préjudice et son estimation pourront fort utilement être revendiqués devant les juridictions civile ou commerciale. Nous serons ainsi dans le cadre d’une action en concurrence déloyale.
 

Pour autant que la liberté d’expression ne soit pas retenue, la juridiction prononcera généralement la cessation des actes de dénigrement. Une telle décision pourra être assortie d’une astreinte, c’est-à-dire condamnée à une somme forfaitaire par jour de retard.

Le tribunal pourra également accorder des dommages et intérêts. Le montant accordé au titre des dommages et intérêts par le tribunal peut-être d’un euro symbolique à plusieurs milliers d’euros et Il est proportionnel au préjudice effectivement subi. Il faut généralement prouver ce préjudice au moyen de rapports d’expertise comptable.
 

En tout état de cause, les entreprises qui ont capitalisé sur leur(s) marque(s), et a fortiori celles qui sont organisées en réseau, doivent se doter d’une stratégie de réaction face au dénigrement, et ce à plusieurs titres :

1. La veille et, le cas échéant, la réaction, permettent de conserver, voire d’augmenter, la valeur économique de la marque

2. Une bonne stratégie de réaction garantit aux consommateurs / clients une information fiable grâce à la censure ou la suppression des contenus motivés par des intentions purement concurrentielles

3. Enfin, pour celles des enseignes qui sont organisées sous la forme de franchise ou de licence de marque, la réaction face au dénigrement n’est pas qu’une recommandation ; elle engage la responsabilité du propriétaire de la marque qui se doit de préserver la réputation de la marque distribuée par ses propres franchisés/licenciés.

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