Wilfried Meziane, avocat en droit immobilier et droit de la construction, vous explique le principe de réparation intégrale du préjudice à l’épreuve du principe de proportionnalité en droit de la construction. |
La recherche d’un équilibre dans les rapports entre maître de l’ouvrage et constructeur conduit le juge à concilier le principe de réparation intégrale du préjudice avec le principe de proportionnalité de la sanction afin d'éviter des situations excessives sur le plan financier.
L’appréciation du critère de proportionnalité relève de la libre appréciation des juges du fond, la Cour de cassation n’opérant qu’un contrôle de motivation afin de vérifier que ceux-ci ont mis en balance les intérêts en présence.
Le principe de réparation intégrale
En vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, les dommages intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit (Cass. 3ème civ., 9 juill. 2002, n° 19-18954).
Ce principe impose « de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n'avait pas eu lieu » (Cass. 3ème civ, 27 mars 2012, n° 11-11798 ; 20 avr. 2017, n° 16-13603).
Sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, la réparation concerne aussi bien les désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination que les dommages matériels ou immatériels consécutifs à ces désordres.
C’est ce qu’est venue rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 13 juillet 2022 (Cass. 3ème civ., 13 juill. 2022, n° 21-13567).
Ainsi, toute clause ayant pour objet de limiter la responsabilité décennale des constructeurs au titre des préjudices immatériels consécutifs doit être réputée non écrite.
Dès lors, sont indemnisés :
- le préjudice locatif (Cass. 3ème civ., 9 juill. 2020, n° 19-18954) ;
- le coût de l’assurance dommages-ouvrage et des frais de maîtrise d’œuvre afférents aux travaux de reprise (Cass. 3ème civ., 4 févr. 2016, n° 14-11878 ; 21 janv. 2021, n° 19-16434) ;
- les travaux supplémentaires non prévus initialement (Cass. 3ème civ., 30 janv. 2020, n° 19-10038).
En matière de droit commun de la responsabilité, la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable (Cass. 3ème civ., 14 janv. 2021, n° 16-11055).
Primauté est donnée à l’exécution forcée des conventions.
Plusieurs arrêts illustrent cette rigueur parfois sévère (Cass. 3ème civ., 11 mai 2005, n° 03-21136 sur un défaut d’altimétrie de 0,33 m ; 26 juin 2013 n° 12-18121 sur une nullité pour vice de forme du CCMI ; 17 sept. 2014 n° 12-24122 et 12-24612 sur une non-conformité aux stipulations contractuelles).
Cependant, la réparation du dommage ne peut excéder le montant du préjudice ; à défaut il en résulterait une situation d’enrichissement sans cause.
À cet égard, on citera l’arrêt du 7 avril 2016 (Cass. 3ème civ., 7 avr. 2016, n° 14-19268).
Enfin, il est constant que le maître de l’ouvrage ne saurait bénéficier d’une double indemnisation (Cass. 3ème civ., 14 mai 2020, n° 19-16278).
Infléchi par le principe de proportionnalité
Le principe de proportionnalité trouve à s’appliquer dans le cadre du champ contractuel lorsqu’est demandée la démolition/reconstruction d’un ouvrage.
Exemples :
- une erreur d’implantation (Cass. 3ème civ., 22 nov. 2018, n° 17-12537) ;
- un non-respect des normes parasismiques (Cass. 3ème civ., 14 févr. 2019, n° 18-11836) ;
- des non-conformités (Cass. 3ème civ., 6 mai 2014, n° 13-10338 et n° 13-13624 ; 21 juin 2018 n° 17-15897 ; 8 nov. 2018, n° 17-23137 ; 19 sept. 2019, n° 18-19121) ;
- CCMI (Cass. 3ème civ., 9 déc. 2014, n° 13-10072 ; 15 oct. 2015, n° 14-23612 ; 3 mai 2018, n° 17-15067 ; 22 nov. 2018, n° 17-12537 ; 13 févr. 2020, n° 19-12215).
Dans ces espèces, la Cour de cassation a considéré que la démolition/reconstruction constituait une « sanction disproportionnée » « au regard de la nature et de l’ampleur des désordres », « au regard des travaux réalisés, […] quasiment achevés, et de la gravité des désordres » et « n’était pas la seule [solution] qui permettait de procurer aux maîtres de l’ouvrage une réparation intégrale de leur préjudice ».
Lorsque la Haute juridiction accueille une telle demande, c’est après s’être assurée que les juges du fond ont vérifié si l'exécution forcée en nature est impossible (Cass. 3ème civ., 12 avr. 2018, n° 17-26906 ; 21 mars 2019, n° 17-28768).
Ces derniers doivent privilégier, surtout en cas d’erreurs ou manquements minimes, les solutions alternatives à la démolition/reconstruction de l'ouvrage, laquelle ne constitue pas pour le maître de l’ouvrage un « droit inconditionnel » selon la formule du Professeur Genicon.
En effet, l’objectif poursuivi n’est pas de replacer le maître de l'ouvrage dans sa situation antérieure mais de remédier aux désordres.
Cela renforce l'importance du rôle des experts, notamment judiciaires, ainsi que des avocats dans la détermination des travaux réparatoires préconisés.
Il conviendra donc de veiller à ce que la mission dévolue aux experts judiciaires prévoit de proposer plusieurs variantes techniques réparatoires.
Toutefois, quand la mise en œuvre de la solution alternative crée une situation préjudiciable pour le maître de l'ouvrage, elle donnera lieu à indemnisation (Cass. 3ème civ., 19 sept. 2019, n° 18-19121).
Si la Cour de cassation a semblé revenir sur sa position dans un arrêt du 4 mars 2021 (Cass. 3ème civ., 4 mars 2021, n° 19-17616), elle vient de réaffirmer la consécration du principe de proportionnalité dans deux arrêts du 13 juillet 2022 (Cass. 3ème civ., 13 juill. 2022, n° 21-16407 et n° 21-16408).
La motivation retenue s’inspire de l’article 1221 du Code civil alors même que ce texte n’était pas applicable.
Cet article soumet l’exécution forcée des obligations contractuelles à un contrôle de proportionnalité entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier, et n’a vocation à s’appliquer que pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016 pour des désordres dénoncés avant réception ou apparus après réception lorsqu’ils ne revêtent pas de gravité décennale.
Pèsera cependant sur le constructeur de bonne foi la charge de « la preuve des faits de nature à établir le caractère disproportionné de la sanction » (Cass. 3ème civ., 27 mai 2021, n° 20-13204 et n° 20-14321).
Pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, le principe de proportionnalité a pu être retenu pour faire échec à l’ancien article 1184 du Code civil (Cass. 3ème civ., 17 nov. 2021, n° 20-17218 ; v. aussi Cass. 3ème civ., 21 juin 2018, n° 17-10175).
Enfin pour conclure, on évoquera le projet de réforme du droit de la responsabilité civile qui comporte sur la réparation en nature un nouvel article 1261 du Code civil prévoyant que « la réparation en nature ne peut être imposée à la victime. Elle ne peut non plus être ordonnée en cas d'impossibilité, ou lorsqu’elle porterait atteinte à une liberté fondamentale ou entraînerait pour le responsable un coût manifestement déraisonnable au regard de son intérêt pour la victime ».
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