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Conséquences du non-respect des codes anti-corruption internes en droit du travail

Le 28.07.2021 0 commentaires
anti-corruption

Si l’AFA, l’agence française anti-corruption, dans son rapport 2020, rappelle l’objectif affiché du gouvernement à agir contre la corruption1, elle y précise que l’ensemble des entreprises sont concernées, notamment les PME dans leur relation avec les sociétés grands comptes2.

La jurisprudence récente sociale s’est déjà emparée des problématiques liées au respect des codes de conduite et procédures internes déployés en entreprise et vient en renforcer la force. Elle offre une application concrète des conséquences de :

       > i.L’interdiction de recevoir des cadeaux et ou bénéficier d’avantages même personnels
       > ​ii.Du non-respect des procédures internes propres à l’évaluation des tiers (partenaires et fournisseurs).
       > iii.Les entreprises doivent prêter attention aux modalités d’adoption de ces règles éthiques, leur contenu et renforcer la sensibilisation de leurs salariés pour en assurer une meilleure effectivité.

 

i) L’acceptation de cadeaux d’affaires, cause réelle et sérieuse pouvant justifier un licenciement pour faute ? CA, Angers, 29 mai 2020 et Cass, soc, 31 mars 2021

Les cadeaux d’affaires sont une pratique commerciale souvent utilisée afin de consolider un partenariat commercial, ou encore pour fidéliser une clientèle. Cependant, cette pratique comporte des risques, au regard de la valeur du cadeau. L’avantage consenti peut, dans certaines circonstances, entraîner un redressement Urssaf et fiscal, voire être constitutif d’un délit de corruption ou d’un abus de bien social.

Deux affaires récentes illustrent le risque de cette pratique.

CA, Angers, 29 mai 2020, n°18/00395, Sté Howmet Ciral c/ M.

La Cour d’appel a eu à se pencher sur le cas d’un assistant d’achat ayant accepté à deux reprises des cadeaux d’un montant important, deux tablettes d’une valeur de 798€ et cela en méconnaissance des règles internes en vigueur dans son entreprise, ainsi qu’en le dissimulant à son employeur. En effet, il a spécifiquement demandé au fournisseur de lui livrer ces tablettes à son domicile personnel. Après avoir eu connaissance de la répétition de ce manquement aux règles de l’entreprise, son employeur décide donc de le licencier pour faute grave, ne pouvant les tolérer.

L’employé obtient gain de cause devant le conseil de prud’hommes jugeant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Sur recours de l’employeur, la Cour d’appel d’Angers infirme le jugement de première instance : eu égard aux nombreux documents internes et formations dispensées aux salariés concernant les exigences d’intégrité en vigueur dans la société, l’employé avait parfaitement connaissance de la déontologie, du code de conduite professionnelle, de la politique de conduite en affaires, et celle relative aux lois anti-corruption. De plus, l’employé demandant à se faire livrer à son domicile personnel, il était alors démontré qu’il souhaitait dissimuler les faits. La faute commise est de nature à justifier la fin immédiate du contrat de travail, et justifier le licenciement pour faute grave.

Cass, soc, 31 mars 2021, n°19-23.144.

Ce litige concernait le directeur d’une agence bancaire ayant fait réaliser par un client de l’agence des travaux gratuitement dans ses biens immobiliers, d’une valeur estimée à

180.000€. Ce salarié n’ayant donc pas respecté les obligations découlant de son contrat de travail ni celles du code de conduite en vigueur dans l’entreprise, son employeur le licencie pour faute grave.

La Cour d’appel de Versailles juge que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, estimant que les faits reprochés concernaient la vie privée et non professionnelle de l’employé, ne concernaient pas son emploi occupé auprès de la banque, ni sa relation de travail. L’employeur s’était alors pourvu en cassation, faisant valoir que les collaborateurs de la banque sont tenus en vertu du code de bonne conduite de la société, de ne pas accepter ou bénéficier d’un avantage (prêts, cadeaux, autres profits) émanant de personnes avec lesquelles ils ont contact, une relation dans le cadre professionnel. La haute juridiction a alors considéré que les juges du fond avaient privé leur décision de base légale, en ne recherchant pas si l’acceptation de cadeaux importants de la part d’un client d’agence dont il assumait la direction, à la supposer établie, ne constituait pas un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail et plus précisément au code de bonne conduite en vigueur au sein de l’entreprise. En conséquence, la Cour casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel et renvoie devant la Cour de Versailles autrement composée3.

 

ii) Le licenciement pour non-respect de la due diligence précontractuelle est-il justifié malgré l’absence de faute grave ? CA, Angers, 11 mars 2021

Le directeur commercial et marketing d'une entreprise d'armement avait initié un rendez-vous de signature d'un contrat commercial international de vente de matériels sensibles avec une société basée au Moyen-Orient avec laquelle son entreprise n'a jamais traité et en s'abstenant délibérément de le faire valider par les différentes directions en contradiction avec la procédure interne en vigueur : la signature de ce type de contrat devait en effet être précédée de vérifications importantes liées à la nécessité de prévenir les risques de corruption ou de trafic d'influence et d'assurer ainsi la légalité du contrat conclu. Cette maladresse, révélatrice d'une mauvaise appréciation de l'étendue de ses responsabilités, aurait pu avoir des conséquences fâcheuses pour l'entreprise, au regard notamment du secteur sensible dans lequel elle intervient.

La Cour d’appel d’Angers s’est prononcée sur la non-conformité à la due diligence devant être réalisée avant la signature d’un contrat commercial. Son non - respect peut fonder une cause réelle et sérieuse au licenciement du salarié fautif. Pour autant la faute grave n’a pas été retenue à l‘encontre du directeur commercial dans la mesure où le manquement commis pouvait s'analyser en une abstention qui est, certes fautive compte tenu du contexte, mais qui ne traduit ni une mauvaise foi ni une quelconque déloyauté de la part du salarié et qui n'a pas non plus eu pour effet de placer l'entreprise dans une situation de danger grave et immédiat4.

 

iii) Quels enseignements pratiques à mettre en place de la part des employeurs ?

Il peut apparaître dans l’intérêt des sociétés de définir des règles internes, en portant une attention particulière à leur rédaction, afin de mieux encadrer ces pratiques, les salariés étant amenés à les respecter sous peine d’encourir un licenciement en cas de manquement, même en l’absence d’intention frauduleuse.

Il s’agira d’une sorte de guide pour le salarié dans ses comportements professionnels soit au titre du respect de dispositions légales (exemple : code monétaire et financier pour le domaine de la banque et de l’assurance), soit au titre de principes que l’entreprise entend faire respecter en son sein.

Ces règles éthiques, qui ne font pas l’objet sauf exception5, d’une réglementation spécifique, peuvent être mises en place dans toutes les entreprises, quel que soit leur effectif. Un accord collectif n’est pas obligatoire (mais possible) et leur application pourra résulter d’une décision de l’employeur.

Si elles peuvent être annexées à un règlement intérieur, cette pratique ne sera pas pour autant toujours adaptée car il conviendra notamment, de respecter le contenu et les formalités prévues en ce cas6.

En tout état de cause, elles ne pourront remplacer le règlement intérieur mais pourront utilement le compléter.

En revanche, si les dispositions du document anticorruption relèvent du champ d’application du règlement intérieur, leur mise en place sera soumise aux règles de ce dernier s’analysant comme une sorte d’adjonction, sauf s’il s’agit d’une simple modalité d’application de celui-ci.

Attention, une consultation avec les représentants du personnel pourra s’avérer nécessaire en fonction du contenu des règles élaborées.7

Dans d’autres situations, les règles éthiques pourront être intégrées au contrat de travail. Ce qui peut parfois s’avérer être un choix non judicieux et, notamment, en cas de modification de celles-ci imposant l’élaboration d’un avenant au contrat de travail soumis à l’accord du salarié concerné.

Enfin, il peut être utile de rappeler que l’employeur ne pourra sanctionner la norme enfreinte qu’à condition que cette dernière soit opposable au salarié. A défaut notamment de règlement intérieur ou de contrat de travail la contractualisant, il faudra pouvoir démontrer sa connaissance par le salarié8.

La rédaction des codes anti-corruption nécessitera en tout état de cause une analyse affinée du secteur d’activité :

> Quels clients – publics/privés,
> Quels fournisseurs – grands comptes /start up, sont ils déjà sensibilisés au risque de corruption ?
> Quelles pratiques existantes de cadeaux acceptables ? Quel montant ?

La cartographie des risques de corruption viendra en étayer la préparation/mise à jour et devra être régulièrement actualisée.

Elle s’accompagnera enfin de dispositifs réguliers de formation destinés aux cadres et aux personnels les plus exposés : dès leur entrée dans l’entreprise puis tout au long de leur carrière. Les jurisprudences évoquées aujourd’hui ainsi que les guides régulièrement publiés par l’AFA9 pourront servir de cas pratiques à la mise à jour de cette sensibilisation.

 

1 - https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/publication-rapport-annuel-dactivite-2020 : Rapport publié le 31 mars 2021 « l’année 2020 a été marquée, en son début, par le lancement du premier plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, qui traduit l’engagement gouvernemental à agir contre la corruption, aussi bien par la prévention que la poursuite et la sanction ».
2 - Rapport annuel p 38 de l’AFA : « Ces derniers, qui relèvent du périmètre de l’article 17 de la loi Sapin 2, demandent aux PME de fournir des preuves de leur intégrité, dans le cadre de leur obligation d’évaluation de l’intégrité de leurs tiers. Les PME et ETI semblent par ailleurs avoir une conscience très limitée des risques liés à la corruption et ont, en tout état de cause, de réelles difficultés à intégrer et déployer le référentiel anticorruption, compte tenu de leurs moyens. »
3 - La jurisprudence auparavant avait pu se prononcer sur ce type de situation, où la faute grave d’un gestionnaire de vente avait été retenue pour justifier le licenciement, suite à l’acceptation de cadeaux ou somme d’argent de la part d’un fournisseur. (CA Versailles, 12 mars 2013, n°11/04740).
4 - C’est notamment en ce sens que la jurisprudence antérieure a pu valider un licenciement, sur la base d’une faute simple, constitutif d’une cause réelle et sérieuse, d’un salarié qui a accepté un cadeau de la part d’un fournisseur en l’absence d’intention frauduleuse. (CA, Versailles, 17 mars 1992, n°91-890).
5 - LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 art 17 dite loi Sapin 2 : sociétés ayant plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse100 Millions d’euros
6- De mémoire, l’établissement d’un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés.
7 - Les entreprises soumises à la loi Sapin 2 devront respecter l’article 17 pour l’adoption du code de conduite qui sera « intégré au règlement intérieur de l'entreprise et fait l'objet, à ce titre, de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l'article L. 1321-4 du code du travail »
8 - Par exemple : CA Paris, Pôle 6, ch. 10, 30 nov. 2016, nº 13/08890
9 - https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/document/guide-pratique-politique-cadeaux-et-invitations-dans-entreprises-epic-associations-et-fondations
https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/Recommandations%20AFA.pdf 

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