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Lanceurs d’alerte : quelles sont les nouveautés en matière de protection ?

Le 21.04.2022 0 commentaires
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Le 21 mars 2022, la loi visant à mieux protéger et accompagner les lanceurs d’alerte a été officiellement promulguée après avoir été jugée en quasi-totalité conforme par le Conseil Constitutionnel dans sa décision en date du 17 mars 2022.

Cette loi a vocation à transposer en droit français la directive européenne du 23 octobre 2019 ayant pour objet d’unifier la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union Européenne où celle-ci est particulièrement fragmentée.

Le texte renforce les dispositions de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 qui a instauré en droit français un régime général de protection des lanceurs d’alerte. Il précise notamment la définition du lanceur d’alerte en vue d’assouplir les critères de protection, étend la protection à l’entourage du lanceur d’alerte, simplifie les canaux de signalement et renforce la protection contre les mesures de représailles et les procédures « bâillon ». Parallèlement à l’adoption de cette loi, une loi organique visant à renforcer les prérogatives du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte a également été adoptée le même jour.

Si la mise en œuvre d’un dispositif d’alerte n’est pas nécessairement une nouveauté pour certaines entreprises françaises, en particulier pour celles cotées aux États-Unis*, il est à espérer que les précisions apportées par la loi de transposition permettront d’orienter davantage les organismes concernés dans l’obligation de mettre en place un dispositif d’alerte en leur sein pour la première fois.

* La loi Sarbanes-Oxley s’est arrogée une portée extraterritoriale en rendant obligatoire l’implantation de mécanismes d’alerte (whistleblowing) dans toutes les entreprises cotées aux États-Unis.

Lanceur d’alerte : assouplissement des critères de protection

Pour bénéficier du régime de protection, le lanceur d'alerte devra ainsi agir « sans contrepartie financière directe ». Jusqu’ici, la loi Sapin II précise que le lanceur d’alerte doit agir « de manière désintéressée » pour être protégé. Le législateur souhaite ainsi assouplir le critère de désintéressement du lanceur d’alerte jugée « ambiguë » par le législateur ou encore « trop vague » selon les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, auteurs d’un rapport sur l’impact de la Loi Sapin II. En effet, selon ces derniers, l’alerte n’est, à l’heure actuelle, pas recevable dans les cas où le lanceur d’alerte « effectue un signalement concernant une entreprise avec laquelle il se trouve en litige pour une autre raison (parfois indirectement liée à l’alerte) […] ou lorsque les conséquences de son alerte peuvent lui bénéficier (par exemple en signalant l’agissement illégal d’un concurrent ou d’une administration)», ce qui a pour conséquence d’écarter de nombreux lanceurs d’alerte du bénéfice de la protection prévue par la loi. Ainsi, un employé lanceur d’alerte en conflit avec son employeur pourra bénéficier de la protection de ce régime.

Selon la Loi Sapin II, le lanceur d'alerte doit aussi avoir « personnellement » connaissance des faits qu'il signale. Cette condition demeura uniquement « lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles » - c’est-à-dire en dehors du contexte professionnel.

Enfin, les faits dénoncés pourront porter sur « des informations » sur un crime, un délit ou des violations des normes, mais aussi sur des « tentatives de dissimulation » de ces violations. La violation des normes n'aura plus à être « grave et manifeste » comme prévu dans la loi Sapin II dans sa mouture actuelle.

Lanceur d’alerte : élargissement de la protection à son entourage

La directive prévoit que la protection du lanceur d’alerte soit étendue aux personnes physiques qui aident un auteur de signalement au cours du processus de signalement, tels que des collègues ou des proches, qui risquent également de faire l’objet de représailles.

La directive parle de « facilitateurs » notamment lorsqu’elles interviennent dans un contexte professionnel.

La proposition de loi reprend cette notion de « facilitateurs » et va plus loin que la directive en adoptant une définition plus large pour englober également les personnes morales à but non lucratif (syndicats et associations) qui aident les lanceurs d’alerte dans leurs démarches, et dont l’aide devrait être confidentielle, afin que ces derniers bénéficient d’une protection équivalente à celle du lanceur d’alerte (protection contre les représailles).

Le législateur souhaite ainsi protéger l'entourage du lanceur d'alerte non visé dans la Loi Sapin II.

Lanceur d’alerte : simplification des canaux de signalement 

L’article 8 de la loi Sapin II dans sa mouture actuelle prévoit une hiérarchisation des canaux de signalement :

> Premier niveau : le signalement doit être obligatoirement réalisé au préalable via le canal interne (signalement au supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l'employeur ou à un référent désigné par celui-ci) ;
> Deuxième niveau : en cas d’absence de réponse dans un délai raisonnable, il est possible de saisir les autorités judiciaires ou administratives (y compris, l’AFA, l’AMF et l’ACPR) ou les ordres professionnels ;
> Troisième niveau : si l’alerte n’est toujours pas prise en charge au deuxième niveau, le signalement peut être rendu public (sauf en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles auquel cas un signalement public est possible directement sans passer par la voie de signalement préalable interne).

Le législateur considérait que le signalement interne préalable constituait un outil permettant aux organisations visées de préserver leur réputation et de déceler des failles internes. Or, il a été constaté que se faisant, les représailles et les pressions avaient le temps de se mettre en place.

La proposition de loi vient donc assouplir la hiérarchie des canaux de signalement en permettant au lanceur d’alerte de saisir directement les autorités publiques sans procédure interne préalable, y compris en l’absence de danger grave et imminent.

Le lanceur d'alerte pourra donc choisir entre le signalement interne – auprès de son supérieur hiérarchique direct ou indirect, ou à un référent désigné par celui-ci ou, lorsque l’entreprise compte plus de 50 salariés, par le biais d’un dispositif spécifique mis à sa disposition (ex. ligne téléphonique dédiée, adresse de courrier électronique dédiée, plateforme de déclaration en ligne) – et le signalement externe auprès de l'autorité administrative compétente (qui sera désignée par Décret), du Défenseur des droits ou auprès des autorités judiciaires.

À noter que dans ce nouveau dispositif, le Défenseur des droits aura la charge d’orienter les lanceurs d’alerte et de réorienter les alertes lorsqu’une autorité externe ne s’estimera pas compétente.

Cette simplification des canaux de signalement permet, selon les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, d’inciter les organismes à réagir promptement en interne s’ils ne veulent pas que les pouvoirs publics s’en chargent.

Enfin, il est à noter que le recours à la divulgation publique demeure strictement encadré (futur Article 8. III.), celle-ci n’étant possible que dans certaines situations (alternatives) :

> À défaut de traitement à la suite d'un signalement externe dans un certain délai ;
> En cas de « danger imminent ou manifeste pour l'intérêt général » 
> En cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir.

Lanceur d’alerte et protection contre les mesures de représailles et les procédures « bâillon »

L’accroissement de la protection des lanceurs d’alerte passe par l’ajout d’infractions complétant la liste des représailles interdites (à savoir l’intimidation, l’atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux, l’orientation abusive vers des soins). En outre, le lanceur d'alerte ne pourra être inquiété ni civilement pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés, ni pénalement pour avoir intercepté et emmené des documents confidentiels liés à son alerte. À noter que ladite irresponsabilité pénale se limite aux informations dont il aura eu accès de façon licite.

Les procédures « bâillon » consistent, quant à elles, en une pratique judiciaire diligentée par le mis en cause (en général une entreprise) qui vise à dissuader le lanceur d’alerte de poursuivre son signalement par exemple. Une procédure bâillon courante consiste à porter plainte pour diffamation contre le lanceur d’alerte en vue de l’intimider et/ou de le décourager du fait des frais de justice à engager.

En début de procès, le juge pourra donc accorder une provision pour frais de justice au lanceur d'alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure bâillon à son encontre. Cette provision pourra être accordée même si le lanceur d'alerte perd son procès. De plus, le juge pourra allouer une provision supplémentaire au lanceur d'alerte dont la situation financière s'est gravement dégradée.

L'amende civile encourue en cas de procédure bâillon contre un lanceur d'alerte est portée 60 000 euros (futur article 13. II. de la loi Sapin II).

Par où commencer ?

> Identifier les relais en interne et le cas échéant envisager de recourir à des prestataires externes
> Rédiger la procédure d’alerte et la mettre à disposition notamment 
- En interne : des salariés – mais aussi des anciens salariés, des candidats
- En externe : des collaborateurs extérieurs et occasionnels, des membres du personnel des contractants, sous‑traitants et fournisseurs…
> Consulter les représentants du personnel, s’il une telle instance existe dans l’entreprise
> Rédiger la procédure interne de recueil et de traitement des alertes – à destination des personnes en charge de traiter les alertes
> S’assurer que les règles relatives à la protection des données personnelles soient bien respectées : réalisation d’une étude d’impact des risques sur la vie privée par exemple

Ce qu’il faut retenir

La mise en place d’une procédure d’alerte concerne toutes les entreprises. C’est l’occasion pour ces dernières de réfléchir à l’importance des enjeux de mise en conformité aux réglementations qui leur sont propres. Au-delà, cette démarche peut s’avérer source d’opportunités puisqu’elle participe à une vraie valorisation des engagements éthiques de l’entreprise. Elle contribue en effet à renforcer (i) son image de marque dans le public, (ii) l’attractivité de sa marque employeur auprès de ses salariés par des règles éthiques internes respectueuses de ces derniers, et (iii) son positionnement vis-à-vis de ses donneurs d’ordres soumis à des règles davantage contraignantes quant à l’évaluation de leurs fournisseurs.

 

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