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Cession d’actifs numériques : attention, la loi peut conduire à déclarer des plus-values en cas de moins-values

Le 28.12.2022 0 commentaires
Homme connecté analysant la finance

Cet article est la deuxième partie d’une série de quatre analysant les dangers et idées fausses sur les plus-values des particuliers non professionnels. La première partie, déjà publiée sur TGS France Avocats, évoquait les frais de cession comme réintégrés dans la plus-value de cession d’actifs numériques. La troisième partie reviendra sur les effets de la valorisation des NFT au sein d’un portefeuille. Cette série d’articles se terminera sur le sujet des moins-values en opérations d’achat/revente d’actifs numériques non reportables d’une année sur l'autre.

Une formule de calcul spécifique aux cessions d'actifs numériques

Les plus-values ou moins-values réalisées par des particuliers non professionnels à l’occasion de la cession d’actifs numériques ne sont pas calculées de la même façon que pour les cessions d’actions. Elles dépendent en effet de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI). Cet article prévoit, dans son III, une formule de calcul atypique :

« III. – La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille. »

De façon plus synthétique : plus-value ou moins-value = A - (A x B / C)

Avec :

- A = Prix de cession réduit des frais de transaction
B = Valeur d’acquisition du portefeuille, corrigée pour les cessions ultérieures par la soustraction de AxB/C de la cession précédente
C = Valeur du portefeuille au moment de la cession. La détermination de cette valeur est complexe sur des portefeuilles diversifiés car cela implique de rechercher, pour chaque cession d'un actif numérique, la valeur de tous les autres actifs numériques détenus par ailleurs

L'article 150 VH bis du CGI raisonne donc par “portefeuille” et non pas par actif, au contraire de l’achat/revente d’actions où l’on va regarder chaque actif séparément pour déterminer les plus ou moins-values à déclarer. Il est très important de noter que la notion de “portefeuille” est indépendante de la notion de wallet ou de ledger : le portefeuille au sens de l'article 150 VH bis du CGI vise la totalité des actifs-numériques (au sens de l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier) possédés par un contribuable, même s’ils sont “stockés” sur différentes plateformes. De même, le II de cet article L54-10-1 du Code monétaire et financier semble inclure la grande majorité des NFT. Ce point serra développé dans le prochain article.

Si, à première vue, la formule de calcul du 150 VH bis du CGI peut faire sens compte tenu de la grande facilité pour échanger la plupart des crypto actifs entre eux et du fait que les échanges entre crypto actifs bénéficient d’un sursis d’imposition (article 150, II, A du CGI), elle pose cependant de nombreux problèmes. Il convient de noter que ne sont ici envisagées que les cessions contre de la monnaie “fiat” (euro, dollar, etc) qui sont donc imposables si une plus-value est constatée par l’application de la formule du 150 VH bis du CGI.

Enfin, pour simplifier, nous ne traiterons pas des frais et soultes sur ces opérations qui ont fait l’objet du premier article de la série.

La formule du CGI peut conduire à déclarer des plus-values quand on réalise des moins-values

La formule de l'article 150 VH bis du CGI est donc :

Prix de cession - Prix de cession x (valeur d’acquisition du portefeuille / valeur du portefeuille lors

de la cession) = Plus ou moins-value taxable

La formule aboutit à un résultat négatif, donc à une moins-value, uniquement si le “Prix de cession x (valeur d’acquisition du portefeuille / valeur du portefeuille lors de la cession)” est supérieur au prix de cession. C’est-à-dire si A x (B/C) est supérieur à A. En conséquence, on aboutira à une moins-value uniquement si B/C est supérieur à 1, soit si la “valeur d’acquisition du portefeuille” est supérieure à la “valeur du portefeuille lors de la cession”.

Une telle formule peut se révéler particulièrement pénalisante. Prenons l’exemple d’un investisseur ayant uniquement acheté les crypto actifs X pour 100 € et Y pour 100 € également. Un mois après, le cours de l'actif X a explosé, il vaut 1 000 €, par contre le cours de Y s’est effondré, il ne vaut plus que 10 €. Il décide alors de vendre la totalité de ses actifs numériques Y :

Le prix de cession de Y est de 10 €, la valeur d’acquisition globale du portefeuille est de 200 € (X et Y ont été acquis 100 €) et la valeur globale du portefeuille au moment de la cession est de 1 010 € (valeur de X = 1 000 € et valeur de Y = 10 €).

Le calcul est donc de : 10 - 10 x (200/1010) = 10 - 10 x 0,198 = + 9,02 €.

Malgré le fait que le contribuable ait réalisé une moins-value importante si on regarde Y seul (Y a été vendu pour 10 % de sa valeur d'acquisition), la formule le conduira à devoir déclarer une plus-value d’un montant quasiment égal au prix de cession ! Le contribuable déclare en quelque sorte une “plus-value fantôme”, qui subira pourtant une imposition bien réelle.

Si on avait raisonné en action, on aurait uniquement regardé Y, et on aurait appliqué la formule "prix de cession de Y - prix d’acquisition de Y", ce qui aurait conduit à constater une moins-value de 90 €.

La formule du 150 VH bis peut conduire à surévaluer les plus-values réalisées

Par exemple : un contribuable achète deux crypto actifs X et Y à 10 € chacun. Le cours de l'actif X monte à 1 000 € et celui de Y à 20 €. Il décide de vendre Y. Le prix de cession est de 20 €, la valeur d’acquisition du portefeuille est de 20 € et la valeur globale du portefeuille au moment de la cession est de 1 020 €.

Le calcul est donc de : 20 - 20 x (20/1020) = 20 - 20 x 0,0196 = + 19,61  €

La plus-value “réelle” sur l’actif Y acheté 10 € et vendu 20 € serait de 10 €, toutefois la formule du 150 VH bis conduit encore une fois à imposer la quasi-totalité du prix de cession, avec l’ajout d’une plus-values “fantôme” qui double la plus-value "réelle" (au sens de "prix de cession - prix d'acquisition"). En effet, l’application de la formule conduit en quelque sorte à faire “sortir” la plus-value latente sur X à travers toutes les autres cessions d’actifs moins performants.

Le phénomène des plus-values “fantôme” n’est pas un cas atypique puisqu'il s'agit de la simple application de la formule légale. Il semble important de prévenir les contribuables ayant d’importante plus-values latentes sur un crypto actif de ne plus chercher à trader d’autres crypto actifs : les moins-values ou plus-values constatées lors de la cession de ces derniers seront imposées sur la quasi-totalité de leurs prix de cession !

De même, l’investisseur du dimanche n’effectuant pas un suivi précis de ses achats pourra penser avoir réalisé des plus-values sur ses opérations en crypto actifs car il déclarera des plus-values et sera imposé sur ces opérations. En vérité, il aura potentiellement cédé des actifs déficitaires et aura été imposé “en avance” sur une plus-value latente qu’il aurait par ailleurs sur un autre actif. Plus-value latente qu’il n’est pas certain de constater un jour compte tenu de la volatilité du marché.

CONCLUSION

Si le portefeuille est globalement bénéficiaire au moment de la cession, c’est à dire que sa valeur d’acquisition est inférieure à sa valeur au jour de la cession (donc qu’il y a une plus-value globale latente):

- Toutes les ventes d’actifs pour moins cher que leurs prix d’acquisition aboutiront à constater une moins-value sur cet actif mais à déclarer une plus-value “fantôme” et à être imposée sur cette dernière,
- Toutes les plus-values sur les cessions des actifs les moins performants (c’est à dire moins performant que la moyenne des actifs du portefeuille au moment de la cession) seront surévaluées et sur-imposées,
- Inversement, les plus-values sur les cessions des actifs les plus performants seront sous-évaluées et sous-imposées.

L’inverse est aussi valable : Si le portefeuille est globalement déficitaire au moment de la cession d’un actif, c’est à dire que sa valeur d’acquisition est supérieure à sa valeur (donc qu’il y a une moins-value globale latente):

- Toutes les cessions d’actifs pour plus cher que leur prix d’acquisition aboutiront à déclarer une moins-value,
- Toutes les moins-values sur les cessions des actifs les moins performants (c’est à dire moins performant que la moyenne des actifs du portefeuille au moment de la cession) seront surévaluées,
- Inversement, les moins-values sur les cessions des actifs les plus performants seront sous-évaluées.

Il est à noter que les “corrections” du prix d’acquisition du portefeuille à l’issue des cessions suivantes viennent moduler ces principes sans pour autant les invalider. Une piste d’optimisation à court terme serait de ne céder que les actifs plus performants que la moyenne des actifs du portefeuille, les plus–values sur ces derniers seraient en effet sous-évaluées. Un deuxième réflexe serait de préférer échanger ses actifs les moins-performants contre d’autres actifs numériques plutôt que de les vendre.

Toutefois, déterminer la performance relative d’un actif vis-à-vis du reste du portefeuille au moment d’une cession est une tâche particulièrement fastidieuse, voire impossible dans certains cas. Il est essentiel de connaître et comprendre ces différences importantes avec le trading d’action.

Ces spécificités, insoupçonnées du grand public, semblent également inconnues des législateurs. En effet, il est regrettable que ces derniers raisonnent par analogie avec le régime du trading d’action, notamment pour les critères de détermination d’un trader professionnel ou occasionnel, sans avoir conscience que le calcul des résultats des achats-reventes d’actions ou d’actifs numériques présentent, pour les particuliers occasionnels, des différences fondamentales

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